“L’admission de la femme à l’égalité parfaite serait la marque la plus sûre de la civilisation ; elle doublerait les forces intellectuelles du genre humain et ses chances de bonheur.”

Henri Beyle dit Stendhal, 1817

Le féminisme est un mouvement qui apparaît dans les années 1850 avec l’arrivée des premières suffragettes qui se battent en Angleterre pour le droit de vote. Les années 1900 voient émerger ce qu’on décrit aujourd’hui comme étant la première vague du féminisme. Pour la première fois, les femmes militent pour acquérir le droit de vote, le droit d’occuper des fonctions publiques et la reconnaissance de leur statut de personne à part entière. Cette première vague permettra aux femmes de certains pays (comme l’Angleterre ou la France) d’accéder à l’égalité civique.

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Les années 60 verront apparaître un tout nouveau type de féminisme porté par des figures emblématiques telle que Simone de Beauvoir ou encore Benoîte Groult. L’objectif principal de cette seconde vague est la « maîtrise du corps fécond ». En effet, si les femmes sont maintenant libres de travailler dans différents secteurs et d’être indépendante financièrement, elles ne sont pas maîtres de leur fécondité ni de leur sexualité. De plus selon Pauline Maclaran, les femmes sont victimes des stéréotypes sexistes propagés en partie par les publicitaires, qui confinent les femmes dans des rôles domestiques d’épouses et de mères. Cette seconde vague donnera accès aux femmes à la contraception et à l’avortement, et les publicitaires commenceront à remplacer les représentations passives des femmes par des représentations plus sophistiquées de leur émancipation.

C’est dans les années 80 qu’un nouveau type de féminisme verra le jour. Légalement, les femmes disposent des mêmes droits que les hommes et peuvent disposer de leur corps, mais les mentalités patriarcales perdurent. Parallèlement, le féminisme qui a longtemps été perçu comme un mouvement de révolte se démocratise, grâce en partie à l’apparition d’internet et des réseaux sociaux. Aujourd’hui, le féminisme est défini comme « la conviction que les femmes devraient bénéficier des mêmes droits, pouvoirs et opportunités que les hommes et être traitées de la même manière » (Cambridge Advanced Learner’s Dictionary & Thesaurus). Des journaux féministes apparaissent et déconstruisent les idées reçues, débloquent les tabous autour des sujets tel que la sexualité, la pilosité ou encore la discrimination.

En octobre 2017, l’affaire Weinstein éclate sur les réseaux sociaux, et les accusations de viols, d’agressions, et de violence commise par ce producteur de cinéma américain font le tour du monde. C’est le début du phénomène viral #MeToo, qui regroupera en un an des dizaines de milliers de témoignages de femmes et qui engendrera une prise de conscience internationale sur le harcèlement sexuel. Le mouvement #MeToo est l’un des mouvements de médias sociaux les plus réussis à ce jour, avec des implications de grande envergure pour la société et les entreprises. Selon William Diener, #MeToo symbolise l’histoire individuelle de chaque victime d’inconduite sexuelle et ranime les débats autour du genre. D’après Léa Lejeune: « Avant le bouleversement #metoo, le féminisme était caricaturé, perçu comme un mouvement qui réunissait des révolutionnaires, des anticapitalistes, des poilues. Aujourd’hui, le féminisme n’a plus rien de subversif, c’est quelque chose de populaire ». La littérature démontre que le changement social se produit lorsque des individus, des organismes, et leurs réseaux se relient entre eux à une cause commune et à un objectif partagé. Or aujourd’hui, de plus en plus de femmes et d’hommes sont engagés envers le féminisme, veulent voir la société changer et sont prêts à modifier leur mode de vie et de consommation en ce sens.

Les marques elles aussi commencent à adapter leur discours et à s’engager dans ce mouvement. En effet, John Cohan remarque qu’au cours de ces dernières années, les campagnes de marques internationales telle que Nike, Always, Dove ou encore Lancôme sont de plus en plus féministes. Nike dévoile une campagne mettant en avant les femmes dans le monde du sport, Always lance le hashtag #LikeAGirl et déconstruit les stéréotypes. Dove célèbre les femmes dans toutes leurs diversités en encourageant la beauté sans filtre avec la nouvelle campagne mondiale « Dove Real Beauty » et Lancôme lance une campagne mettant en scène des mannequins qui ne sont pas massivement retouchés, incitant les femmes à trouver leur propre beauté. On voit apparaître un nouveau terme : le femvertising, « un néologisme qui désigne une pratique publicitaire par laquelle des marques portent des messages considérés comme féministes (ou tout au moins visant à redonner aux femmes leur juste place dans la société) à travers leurs campagnes de publicité »

Chanel fashion show

Cependant, gare aux marques qui se revendiquent féministe par opportunisme… En effet, depuis 3 ans maintenant sur les réseaux Twitter et Instagram, le compte @PepiteSexiste dénonce les marques faussement féministes. Avec 90k abonnés sur Twitter et 235k sur Instagram, ce compte de sensibilisation aux stéréotypes diffusés par le marketing peut provoquer de réel bad buzz, selon B. Bathelot: « un phénomène de “bouche-à-oreille” négatif qui se déclenche généralement sur Internet avant de se prolonger éventuellement sur d’autres médias pour les marques qui s’y retrouve affichés »). Le concept de @PepiteSexiste a été repris partout dans le monde. De nombreux comptes de ce genre existent aujourd’hui sur les réseaux, mais aussi des médias tel que Simone ou encore Madmoizelle.com et ces derniers n’hésitent pas à dénoncer le « feminism washing ». Dérivé du terme « green washing », le feminism washing correspond selon Léa Lejeune à « à l’ensemble des pratiques de communication et de marketing utilisées par les entreprises pour faire croire qu’elles sont féministes, qu’elles respectent l’égalité hommes femmes, alors qu’en interne, elles n’ont pas fait le travail pour changer leur production ou mieux traiter les femmes salariées ». Le feminism washing est de plus en plus présent, en particulier dans l’industrie de la mode. La mode est définie comme étant le style le plus admiré en matière de vêtements et d’ornements corporels, elle évolue constamment en fonction des goûts dominants et des dispositions culturelles.

L’industrie de la mode est très impactée par le féminisme, et beaucoup de marques sont aujourd’hui accusées de feminism washing. Pourtant, les Maisons et marques de mode ont beaucoup aidé les femmes pendant de nombreuses années à s’émanciper du patriarcat. Au 18è siècle, les femmes portaient des tenues hautement inconfortables, dont l’unique fonction était d’être esthétique. L’historien Georges Vigarello expliquait : « L’habit court masculin est opposé à l’habit long féminin. C’est l’insensible différence entre l’homme confronté au travail et la femme confrontée au décor, les unes vers l’esthétique, les autres vers la fonctionnalité ». Mais avec l’arrivée du féminisme, la mode évolue. Au début des années 1900, les suffragettes organisaient fréquemment des réunions dans les grands magasins et Gordon Selfridge était lui-même un fervent partisan du mouvement. En 1920, Gabrielle Chanel reprend les ensembles en jersey souple autrefois utilisés comme sous-vêtements, et participe à l’abolition du corset (ultime symbole aujourd’hui encore du patriarcat). En 1930, l’actrice Marlene Dietrich, habillée aussi par Gabrielle Chanel, démocratise le pantalon. Puis en 1966, Yves Saint Laurent crée le premier smoking pour femme. André Courreges participa avec Mary Quant à la démocratisation de la mini-jupe dans les années 60. Devenues banales aujourd’hui, ces abolitions de codes vestimentaires étaient à l’époque révolutionnaire !

À travers ces différents points, il est possible de comprendre quil est primordial pour les marques de mode d’appréhender les enjeux liés aux féminismes pour définir leur stratégie. Les manifestations du Women Empowerment des marques de mode de luxe sont ainsi diverses, mais leurs degrés variables. Du point de vue des plus jeunes consommateurs de mode de luxe, « Millennials » et « Génération Z » , ce sont les démarches perçues comme les plus authentiques qui suscitent un réel engagement de leur part.